Bon, je vous l’accorde, j’ai un peu présenté mon métier comme s’il s’agissait de diriger un centre aéré. Abordons la partie véritablement artistique de la mise en scène.
Visionnaire
Le metteur en scène est très souvent lié au projet depuis le tout départ. C’est lui qui a la vision pour le spectacle. Cela signifie qu’il a imaginé dès le début le résultat vers lequel il souhaite tendre. D’abord, dans le propos : quel message veut-on faire passer ? Quelle réaction attend-on des spectateurs ? Ensuite, dans l’esthétique : quel univers va-t-on créer ? Quelles seront les influences et quelle sera l’ambiance générale ? Et enfin, dans la réalisation : à qui va-t-on faire appel ? Comment va-t-on s’adapter au budget qu’on nous octroie ? Comment les répétitions s’organisent-elles ?
Le metteur en scène explique généralement cette vision dans un texte que l’on appelle une note d’intention. Elle est comme un livre blanc pendant la conception du spectacle, dont le metteur en scène est le garant, et qui doit guider chacun dans son travail. Le secret de la profession m’interdit de vous dire que la note d’intention est parfois écrite après que le spectacle soit créé, histoire d’être sûrs d’être cohérent. Souvent, on comprend ce qu’on a fait qu’après. Ca veut pas dire que c’est pas bien hein.

Chef d’orchestre
Le metteur en scène, muni de sa vision, dispose de différents leviers d’action pour arriver au résultat final.
- Le texte
Il l’a en général choisi lui-même, et parfois réadapté en y opérant des coupes ou en le transposant différemment.
Un exemple
Jérémie Le Louët a réduit drastiquement la longueur de Richard III de Shakespeare afin de concentrer l’action sur les personnages principaux et de fluidifier la narration.
- L’interprétation du texte
Le metteur en scène est libre de choisir de placer la pièce dans un autre contexte, une autre époque, ou un autre pays afin de livrer son regard personnel sur le texte.
Un exemple
Sans changer un seul mot du texte original, Dominique Pitoiset a choisi de situer l’action de Cyrano de Bergerac dans le foyer d’un hôpital psychiatrique.
- Le choix des comédiens
Si la production peut lui suggérer certains comédiens, le metteur en scène fait lui-même son choix parmi des comédiens qu’il connait, ou il fait passer des auditions. Parfois, un projet nait de l’envie d’un metteur en scène de travailler avec un acteur en particulier sur un rôle précis.Un exemple
Dans Les liaisons dangereuses, John Malkovich a choisi uniquement des comédiens très jeunes et inconnus du grand public. Il s’est servi de ce parti pris en suggérant que la pièce n’était qu’une répétition générale, en asseyant les comédiens qui ne jouaient pas autour de la scène pendant toute la pièce, et en leur faisant porter des costumes à demi-terminés. - La direction des comédiens
Le registre dans lequel ils jouent, leur façon d’appréhender leur personnage, leurs modes d’interaction…Un exemple
Dans Fleur de Cactus, Michel Fau a dirigé l’actrice Mathilde Bisson afin que son personnage s’exprime exactement comme dans un film des années 60 du début à la fin de la pièce.

- Les déplacements
Tous les mouvements des comédiens et les transitions entre les scènes doivent être réglés à l’avance.Un exemple
Dans les transitions d’Alexis Michalik, tous les décors sont déplacés par les comédiens eux-mêmes à vue du public, comme dans un ballet. - La musique
Le metteur en scène peut choisir des musiques existantes ou commander des compositions originales.Un exemple
Jean Bellorini travaille très souvent avec son frère Thomas, qui propose des compositions originales autour de polyphonies vocales chantées par les acteurs eux-mêmes. - La lumière
La lumière crée une certaine ambiance, peut se modifier pendant la pièce, et mettre en valeur certains éléments.Un exemple
Joël Pommerat aime jouer avec des noirs complets entre les scènes, pendant lesquels la scénographie est entièrement modifiée dans un laps de temps très court, sans voir ni entendre quoique ce soit du public. - La scénographie
La scénographie comprend les décors, la façon dont ils organisent l’espace scénique et la valeur ajoutée que cela donne à la pièce.Un exemple
Dans Victor ou les Enfants au pouvoir, Emmanuel Demarcy-Mota avait conçu avec son scénographe un arbre dont les branches se déployaient tout au long de la pièce et qui renforçaient petit à petit le sentiment d’oppression des personnages. - Dans le cadre d’un spectacle musical et chorégraphique, on peut ajouter à tout cela le chant, la danse, ainsi que la musique qui peut être jouée en direct. Les possibilités sont absolument infinies, et je n’entre pas plus dans les détails car je risquerais de m’étendre.
- Enfin, il y a tous les éléments supplémentaires qu’un metteur en scène peut choisir d’inclure : projections vidéo, interactions avec le public, dispositifs immersifs, procédés technologiques etc.
Ayez bien en tête que pour chaque élément de cette liste, le metteur en scène n’est pas à proprement parler le créateur mais qu’il supervise quelqu’un dont c’est la spécialité. Donc oui, vous avez bien compris, être metteur en scène, c’est diriger un tas de gens qui sont plus experts que nous dans leurs domaines respectifs. Comme tous les bons managers en somme.
Miscellanées
- Pour corser un peu l’affaire, de nombreux metteurs en scène choisissent d’écrire leurs propres pièces, ou de traduire eux-mêmes des textes étrangers. Ils aiment bien aussi parfois se donner des rôles dedans. Ou construire eux-mêmes les décors. Il n’est pas rare d’observer des metteurs en scène décider de préparer à diner pour toute l’équipe ou faire l’accueil à la billetterie de leurs propres spectacles. On est sur un réel problème de mégalomanie.


- Il n’existe pas d’équivalent féminin acceptable à « metteur en scène ». Metteuse, mettrice, metteure ? Rien ne marche. Du coup, chacune fait à sa façon, et ça se finit souvent en « metteur » pour tout le monde, parce que c’est plus simple. Moi j’ai choisi « metteure », parce que c’est comme auteure, c’est pas idéal mais je trouve ça joli et ça n’écorche pas l’oreille. Et en même temps, vous constaterez que je n’ai pratiquement employé que le masculin tout au long de ce poste… Y a du boulot.
- Les metteurs en scène ne sont payés en cachets d’intermittents que lors des répétitions. Celles qui sont payées, j’entends. Donc pas très souvent. Autant dire que l’intermittence est difficile à avoir. Lorsque la pièce est jouée, ils touchent des droits d’auteur, qui correspondent à environ 4% de la recette. Et oui, une mise en scène, ça se dépose, c’est une propriété intellectuelle !
- Les metteurs en scène font parfois semblant d’être très sûrs de ce qu’ils font alors qu’ils ne savent pas toujours où ils vont. Enfin, moi en tout cas. Mais les autres aussi, pas vrai ? Le moindre doute exprimé peut déstabiliser grandement les comédiens qui font une confiance absolue à leur metteur-e. Ils lui livrent tout ce qu’ils sont, physiquement, émotionnellement et psychiquement. C’est une grande responsabilité dont il faut se montrer à la hauteur.
- Certains metteurs en scène deviennent de vrais gourous. Cela peut être très bon ou très mauvais, ce qui est sûr c’est qu’il s’agit d’un poste d’influence qui peut très vite mener à certains débordements ou abus de pouvoir.

Ce n’est pas fini ! La semaine prochaine, nous entrerons dans les tréfonds d’une journée-type du metteur en scène.
© David Twist & Ju Delvienne